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La tribune à Anne-Caroline Prévot, Vice-Présidente du MAB France et Directrice de recherche au CNRS

En 1990, alarmé par les premiers rendus des conférences scientifiques internationales sur le climat, le philosophe français Michel Serres écrit « Le contrat naturel ». Dans cet ouvrage, il expose très clairement comment depuis l’Antiquité, toutes les sociétés et groupes sociaux humains fonctionnent autour de contrats plus ou moins tacites qui régissent et codifient les relations entre les femmes et les hommes. Ces contrats n’empêchent pas les conflits mais ils tissent un réseau de relations qui empêchent le chaos. Contrat social (via nos politique et notre droit), contrat savant (pour la fabrication de connaissances), contrats associatifs ou autres, tous se sont construits dans ce que M. Serres appelle le monde humain, sans jamais faire référence à ce qu’il nomme le monde mondial, ou la Terre, ce que nous appelons maintenant, en partie, la nature.

Or, si cela pouvait rester sans conséquence il y a encore un siècle, l’augmentation de la population humaine, de sa puissance technologique, de sa connexion en réseau à l’échelle de la planète, tous ces facteurs créent une espèce de Léviathan sur la Terre dont les interactions avec celle-ci ont des conséquences, sur la Terre mais aussi sur les sociétés humaines en retour. Car la Terre réagit à nos activités. Pour éviter que ces interactions ne conduisent au chaos, le philosophe appelle alors à compléter tout contrat passé entre humains par un contrat naturel, qui reconnaisse « un équilibre entre notre puissance actuelle et les forces du monde » (p. 78). La mise en œuvre de tels contrats naturels sera facilitée quand nous aurons développé ce qu’il appelle des Tiers-instruits, qui « connaiss[ent] et estim[ent] la méconnaissance autant que les sciences, les contes de bonne femme plus que les concepts, les lois aussi bien que le non-droit (…), enfin surtout brûlant d’amour envers la Terre et l’humanité » (p. 147-148).

Liens étroits entre connaissances scientifiques et expériences de terrain, valorisation des relations entre les êtres humains et non-humains, des histoires, des traditions, du temps long et des racines, prises en compte conjointes du local et du global, mise en relation des sciences et de la gouvernance territoriale, mais aussi prise en compte des dynamiques naturelles non-humaines pour construire ensemble des modes d’habiter non chaotiques et durables, voilà beaucoup d’ambitions et de principes développés dans la proposition de Michel Serres et qui sous-tendent le réseau mondial des réserves de biosphère. Alors, restons fiers de participer à ces expérimentations de nouvelles organisations du monde, qui permettent de concilier justice naturelle et justice sociale.

Juillet - 2020